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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

En RDC, le Haut Commissaire fait état d’une insécurité « alarmante »

Dialogue interactif renforcé sur la République Démocratique du Congo

02 avril 2024

Personnes fuyant les combats près de Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo © REUTERS/Thomas Mukoya

Prononcé par

Déclaration vidéo de Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

À

55e session du Conseil des droits de l'homme

Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,

Des décennies de souffrance ont gravé de profondes cicatrices physiques et mentales sur le peuple de la République démocratique du Congo (RDC).

Aujourd'hui, alors que l'insécurité atteint des niveaux parmi les plus alarmants de ces dernières années, je crains que la jouissance des droits humains dans le pays ne s'arrête brutalement.

Depuis notre dernière mise à jour au Conseil en octobre, le conflit armé omniprésent, et en particulier dans l'est du pays, a continué à prélever un lourd tribut humain. L'absence d'autorité de l'État sur de vastes étendues de territoire a également ouvert la voie à des niveaux brutaux de violence et d'attaques.

L'insécurité est alimentée par une montagne apparemment infranchissable de défis : de la corruption à grande échelle à la course effrénée entre de multiples parties pour prendre le contrôle et exploiter la richesse des ressources naturelles du pays, en passant par les violents conflits fonciers en cours.

Je reste également extrêmement préoccupé par le fait que le conflit et la violence en RDC se propagent dans toute la région, ainsi que par l'implication active d'autres acteurs régionaux dans l'est de la RDC.

Le coût de cette situation pour les populations est catastrophique.

Entre le 1er octobre 2023 et le 15 mars 2024, le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l'homme a documenté 2 110 violations et abus des droits humains dans toute la RDC. Parmi celles-ci, 59 % ont été commises par des groupes armés, et ils comprennent des exécutions sommaires et des violences sexuelles liées au conflit.

Près de la moitié de ces violations et abus ont été commis dans la province du Nord-Kivu, où la violence et les tensions ont atteint un stade critique.

Le conflit armé entre le groupe armé M23 et l'armée congolaise (FARDC) s'est intensifié et s'est étendu au-delà de Rutshuru au territoire de Masisi.

Des centaines de milliers de personnes ont fui vers la capitale provinciale de Goma et, plus au nord, dans la province du Sud-Kivu. Selon des sources humanitaires, ce conflit a déplacé plus de 2 millions et demi de personnes dans le Nord-Kivu entre février 2022 et janvier 2024.

Les femmes et les filles sont, une fois de plus, particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et à d'autres formes d'abus et d'exploitation sexuels, notamment dans les camps de personnes déplacées et aux alentours.

Le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l'homme rapporte que, depuis octobre, 156 personnes ont été sommairement exécutées par le M23. Le M23 a également abusé sexuellement de 30 femmes et de 12 enfants, et a enlevé 127 civils, notamment pour les enrôler de force dans les combats. Ces chiffres ne représentent pas toute l'ampleur des abus.

Nombre de ces violations graves des droits humains pourraient constituer des atrocités criminelles, et les auteurs présumés et leurs complices doivent être amenés à rendre des comptes.

Au cours de cette même période, le Bureau a documenté que l'armée congolaise ou ses mandataires ont été responsables pour des violations du droit international des droits de l'homme ou du droit humanitaire, y compris des exécutions extrajudiciaires, des arrestations et détentions arbitraires et la destruction de biens privés. À plusieurs reprises, ils ont attaqué des positions de la Mission de stabilisation des Nations Unies (MONUSCO).

Alors que la MONUSCO entame cette année son désengagement du pays conformément à l'accord conclu entre le gouvernement congolais et les Nations Unies, j'exhorte les autorités à assumer leur responsabilité en matière de protection des civils. Sans un renforcement rapide des forces armées nationales dans les zones où les populations dépendaient de la MONUSCO, le vide sécuritaire pourrait être comblé par des groupes armés, avec des conséquences terribles pour les civils.

Excellences,

La tragédie humaine en RDC ne sera jamais résolue par la seule action militaire.

Il est temps d'investir dans le dialogue. Il est temps d'investir dans le rétablissement - et la reconstruction - de l'État de droit. Et il est temps d'investir dans la paix.

Les processus de Nairobi et de Luanda ont le potentiel de faire taire les armes, de garantir une meilleure protection des civils et d'assurer un développement durable. Il est essentiel que ces deux processus soient ancrés dans les droits humains, afin de lutter contre l'impunité et de garantir le droit des victimes à la vérité, à la justice, à la réparation et au respect des droits humains et des garanties de non-répétition.

J'insiste également pour que le déploiement actuel des forces militaires bilatérales et régionales visant à imposer la paix se fasse dans le strict respect des normes internationales en matière de droits humains et de droit humanitaire. Mon bureau est prêt à y contribuer.

Je salue les progrès réalisés par la RDC dans la lutte contre l'impunité. Le fait que l'année dernière, 599 personnes aient été traduites en justice pour des violations des droits humains et des abus par des tribunaux militaires est une étape encourageante. J'encourage vivement la poursuite de ces efforts.

Je suis toutefois préoccupé par le fait que le gouvernement a levé le moratoire sur la peine de mort et j'invite les autorités à revoir leur position, en s'appuyant sur les engagements pris l'année dernière lors de la réunion de haut niveau organisée dans le cadre de l’ initiative « Droits l’Homme 75 ». 

Il convient d'intensifier les efforts visant à utiliser les mécanismes de justice transitionnelle pour aider le pays à faire face aux crimes et aux violations du passé. Une stratégie claire est nécessaire pour garantir que les initiatives existantes reçoivent les ressources nécessaires et que des mécanismes de justice transitionnelle axés sur les victimes soient mis en œuvre. Je remercie l'équipe internationale d'experts sur la RDC pour son soutien continu au gouvernement sur ces questions.   

La RDC passera cette année son quatrième examen périodique universel, une excellente occasion pour le pays d'examiner ses progrès en matière de droits humains et de renforcer son engagement auprès du système des Nations Unies et de la communauté internationale dans son ensemble.

Excellences,

Pour panser les profondes blessures du passé et du présent de la RDC, il faudra une volonté politique soutenue de la part de tous les acteurs, du peuple congolais à la communauté internationale. Il faudra que le gouvernement congolais prenne des mesures concrètes pour traduire en actes ses promesses en matière de droits humains. Je remercie les autorités pour le travail qu'elles continuent d'entreprendre avec mon Bureau, et j'exhorte les membres de ce Conseil à augmenter de manière significative leur financement et leur engagement afin que nous puissions ancrer fermement la guérison du peuple de la RDC dans les droits de l'homme, la justice et la dignité humaine.

Je vous remercie.