Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquante-septième session du Conseil des droits de l’homme – Dialogue interactif renforcé sur l’Afghanistan
Monsieur le Vice-Président, Chers intervenants, Excellences, Chers collègues et amis,
Cela fait trois ans que les autorités de factoont pris le contrôle de l’Afghanistan : trois ans que les droits de la population du pays sont de moins en moins respectés, avec en toile de fond des décennies de souffrances dues au conflit armé.
Le rapport qui vous est présenté examine en particulier la période allant de septembre 2023 à juillet de cette année, et contient des recommandations et des moyens d’établir les responsabilités face aux violations des droits humains et des atteintes à ces droits qui ont été commises au cours des décennies. Il se concentre sur l’égalité et les droits des femmes et des filles, la crise humanitaire et ses effets sur les droits économiques, sociaux et culturels, les restrictions à la liberté des médias et à l’espace civique, les exécutions, les châtiments corporels et les mauvais traitements infligés aux détenus, le ciblage d’anciens fonctionnaires et défenseurs des droits humains, de groupes d’opposition et de personnes perçues comme critiquant des autorités, et les dommages causés par le conflit, qui ont notamment touché la communauté hazara. Les activités du « Ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice » de facto et leurs effets sur les Afghans expulsés par les pays voisins sont également examinés.
Bien que le rapport n’inclue pas les nouvelles lois sur « la morale » promulguées le mois dernier, je tiens à exprimer clairement mon horreur face à ces dernières mesures, dont les limites imposées à la circulation des femmes qui souhaitent se déplacer sans un « tuteur » masculin, l’interdiction aux femmes de faire entendre leur voix en public, l’interdiction de tout contact visuel entre les femmes et les hommes qui ne sont pas de la même famille et l’obligation pour les femmes de se couvrir de la tête aux pieds, y compris le visage.
Les précédentes mesures comprennent l’interdiction pour les filles de fréquenter un établissement d’enseignement secondaire et pour les femmes d’aller à l’université, le refus des droits des femmes à la liberté de réunion pacifique, d’opinion, d’expression et de circulation, et la restriction considérable des droits des femmes à la recherche d’un emploi. Les femmes qui ont essayé de protester contre ces lois ou d’exprimer une opinion différente ou toute forme de dissidence ont été sévèrement punies.
Je tremble à l’idée de ce qui attend les femmes et les filles en Afghanistan.
Ce contrôle répressif sur la moitié de la population du pays est sans équivalent dans le monde d’aujourd’hui. Il s’agit d’une rupture fondamentale du contrat social. Cela est scandaleux et équivaut à une persécution systématique fondée sur le genre. Cela mettra également en péril l’avenir du pays, en freinant massivement son développement. L’Afghanistan s’enfonce ainsi un peu plus dans l’isolement, la souffrance et les difficultés.
Aujourd’hui, la grande majorité de la population est en situation de pauvreté et privée de ses droits essentiels, notamment du droit à une alimentation adéquate. La situation des enfants est particulièrement catastrophique et profondément angoissante, puisque 12,4 millions d’entre eux sont dans une situation désespérée. Au total, on estime que 23,7 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire cette année, la pauvreté et les conséquences de la répression et de la violence étant exacerbées par les catastrophes naturelles et les changements climatiques. Toutefois, un manque de financement massif réduit considérablement la réponse de l’ONU et de ses partenaires.
Excellences,
L’un des principaux facteurs à l’origine de ces violations et d’autres encore est l’absence persistante de l’établissement des responsabilités en Afghanistan, depuis des décennies, face aux violations des droits humains et aux atteintes à ces droits commises par de multiples acteurs. Comme le souligne le rapport, plusieurs générations d’Afghans, sous les administrations successives, se sont vues privées des droits de connaître la vérité, d’obtenir justice et réparation, et de bénéficier de garanties de non-répétition pour les souffrances qui leur ont été infligées.
Le principe de responsabilité est un puissant moyen de dissuasion contre de futures violations. Compte tenu de la nécessité urgente d’agir pour empêcher la répétition des violations des droits humains et des atteintes à ces droits, et pour remédier au déclin rapide des droits et des libertés dans le pays, je pense qu’une approche globale de la responsabilité couvrant à la fois l’action nationale et internationale est nécessaire.
Les autorités de facto ne peuvent pas continuer dans cette voie. Elles doivent prendre des mesures décisives pour respecter le droit des droits humains. Il s’agit d’obligations de l’État : elles ne sont pas négociables et ne dépendent pas des aléas de l’exercice du contrôle du territoire et des personnes. Des mesures doivent également être introduites pour protéger les victimes de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits, quels que soient le moment où les faits se sont produits ou l’identité des auteurs, et pour obliger ces derniers à rendre compte de leurs actes, conformément aux normes internationales.
J’encourage également les autorités de facto à permettre qu’une institution nationale des droits humains crédible et indépendante puisse reprendre ses activités.
Je demande instamment à tous les États qui ont été impliqués dans le précédent conflit armé en Afghanistan de veiller à ce que les violations commises par leur personnel fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites. Je salue également les mesures crédibles prises dans ce sens par certains États.
L’enquête en cours menée par le procureur de la Cour pénale internationale, dans les limites de sa juridiction, est d’une importance cruciale, et j’appelle tous les États à coopérer pleinement à ce processus. Je note également que le droit international permet aux États tiers, en appliquant les principes reconnus de compétence extraterritoriale et universelle, d’enquêter sur les violations graves du droit international et d’en poursuivre les auteurs, le cas échéant, afin de garantir le principe de responsabilité.
Monsieur le Vice-Président,
Les droits humains ne sont pas qu’une obligation juridique : ils sont indispensables à la paix, à la sécurité, à la cohésion sociale et au développement.
L’Afghanistan dispose d’un énorme potentiel de développement. Le pays peut garantir la prospérité, la sécurité et la justice pour tous. Il peut contribuer de manière productive à la communauté internationale. Il peut répondre aux espoirs de ses citoyens et faire respecter leurs droits.
Il peut aussi s’enfoncer encore davantage dans l’échec, avec une économie brisée et une société entachée de graves violations portant atteinte à l’ensemble des droits humains.
Comme les faits l’ont prouvé à maintes reprises, le respect des droits humains apporte une multitude d’avantages à toutes les sociétés, qu’il s’agisse du développement durable ou d’une paix et d’une harmonie sociale pérennes.
Il est essentiel que l’Afghanistan défende l’égalité entre femmes et les hommes et, de fait, les droits de toutes les personnes.
Le HCDH continuera de dialoguer avec les autorités de facto pour les inciter à inverser les politiques actuelles et à prendre des mesures concrètes pour faire respecter les droits humains.