Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Discours de Volker Türk lors du Forum sur les entreprises et les droits de l’homme : « le monde entier compte sur les entreprises pour jouer leur rôle »
25 novembre 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Treizième Forum des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme
Lieu
Genève
Concrétiser l’« assortiment judicieux de mesures » pour protéger les droits humains dans le contexte des activités commerciales
Excellences,
Madame la Présidente et chers membres du Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme,
Chers participants,
Chers collègues et amis,
Je suis ravi de me joindre à vous pour le Forum sur les entreprises et les droits de l’homme de cette année. Ce rassemblement unique et dynamique de gouvernements, d’entreprises et de la société civile offre une occasion unique de mener des discussions et des débats constructifs sur les droits humains et les entreprises, et sur l’avenir dans ce domaine.
Nous vivons une période particulièrement difficile, complexe et dangereuse.
Les conflits s’intensifient et se multiplient, le chaos climatique est déjà une réalité dans de nombreuses régions du monde, les inégalités se creusent et les nouvelles technologies sont développées sans les garde-fous nécessaires.
Nous ne disposons pas de l’encadrement nécessaire pour nous sortir de ces crises multiples et croisées.
Nous avons besoin de toute urgence de cet encadrement, de la part des gouvernements, de la société civile et des entreprises, pour trouver des solutions durables, équitables et justes.
Dans l’intérêt de tous, et non pas uniquement dans celui de quelques personnes privilégiées.
Nous avons besoin de dirigeants qui privilégient la stabilité à long terme plutôt que les gains à court terme. C’est l’un des plus gros problèmes de gouvernance aujourd’hui.
Nous avons également besoin de dirigeants qui reconnaissent qu’en ancrant nos économies et nos entreprises dans les droits humains, nous pouvons rendre nos sociétés plus stables, plus prévisibles, plus pacifiques et à terme plus prospères.
Je salue les efforts de nombre d’entre vous réunis ici : représentants de gouvernements, d’entreprises, de la société civile et d’associations ; vous qui travaillez sans relâche pour réaliser les changements nécessaires. Votre engagement et votre action soutenue sont essentiels pour faire avancer les choses dans ce domaine et pour inciter notamment le secteur privé à plus de responsabilité, de solidarité et de durabilité.
Il est troublant de constater que les violations des droits humains liées aux entreprises se poursuivent et sont nombreuses dans certaines parties du monde. Des effets toxiques de l’industrie des combustibles fossiles à l’exploitation par les entreprises de matières premières rares et précieuses dans les conflits. Des technologies de surveillance illégales reposant sur l’IA à la discrimination à grande échelle à travers l’IA. Des déplacements forcés de populations autochtones aux conditions de travail assimilables à de l’exploitation dans le secteur agricole et d’autres domaines.
Toutes ces pratiques approfondissent les inégalités et les injustices.
Nous devons prendre des mesures décisives pour changer de cap.
Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme constituent un outil essentiel permettant aux États et aux entreprises de veiller à ce que les violations des droits humains liées aux entreprises soient évitées, atténuées et traitées.
La dernière décennie a été marquée par des progrès importants, les États et les entreprises ayant adopté certaines mesures pertinentes.
Nous pouvons citer notamment plusieurs initiatives régionales telles que l’adoption de la Directive de l’Union européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, et un nombre croissant de plans d’action nationaux sur les entreprises et les droits de l’homme, par exemple en Argentine, au Libéria et au Népal cette année.
Toutefois, les approches volontaires ne suffisent pas.
Au contraire, de plus en plus d’éléments indiquent qu’un assortiment judicieux de mesures politiques et réglementaires cohérentes (nationales et internationales, obligatoires et volontaires) est un bon moyen pour les États d’apporter de la clarté aux entreprises, de favoriser des conditions d’égalité et, en fin de compte, d’assurer de meilleurs résultats pour les personnes affectées par des activités commerciales.
Pour que cet assortiment soit riche et judicieux, il est essentiel d’y inclure des mesures de protection et de soutien pour les personnes et les communautés touchées, ainsi que des mécanismes de responsabilité et de recours, et le HCDH peut aider les États à les formuler.
Il est également essentiel de protéger les défenseurs des droits humains qui travaillent dans tous les domaines, allant de l’environnement aux droits numériques, et qui mettent en lumière les violations des droits humains liées aux entreprises. Je suis particulièrement préoccupé par le phénomène croissant de la répression transnationale des défenseurs des droits humains, qui a évolué avec les technologies numériques. Aux formes anciennes et rudimentaires (enlèvements et menaces anonymes à distance) s’ajoutent aujourd’hui les attaques numériques, la surveillance en ligne et le suivi des personnes au-delà des frontières. Nous devons veiller à ce que les défenseurs des droits humains qui dénoncent la corruption ou les pratiques dangereuses soient en sécurité, quels que soient le lieu et le moment où ils défendent les droits humains.
La mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies et d’autres normes internationales adoptées par l’Organisation internationale du Travail, l’Organisation de coopération et de développement économiques et le Pacte mondial des Nations Unies doit rester une priorité.
De manière plus générale, je nous invite tous à élargir la manière dont nous mesurons le succès économique au-delà du PIB, afin d’avoir une vision globale de la manière dont les économies respectent les droits de la population. Il est important de noter que le Pacte pour l’avenir a reconnu ce point.
La nécessité d’une économie axée sur les droits humains, l’une des priorités du HCDH, n’a jamais été aussi urgente. Lorsque les décisions économiques et sociales sont guidées par les droits humains et investissent dans ces derniers, de l’éducation à la protection sociale, en passant par le logement, le climat et la politique fiscale.
Ces économies peuvent résister aux chocs les plus importants et les plus profonds, ce qui est dans l’intérêt de tous.
Car nous ne pouvons pas continuer à fonctionner avec une logique à court terme.
Un examen approfondi révèle que notre mode de fonctionnement actuel nous mène à l’échec.
Notre capacité à nuire à l’ensemble de l’humanité, voire à l’anéantir, a pris des dimensions inégalées, qu’il s’agisse de la catastrophe climatique ou des développements technologiques non réglementés. Les décisions que nous prenons aujourd’hui détermineront le cours de l’humanité pour les générations à venir.
Pourtant, nous pouvons choisir d’utiliser les capacités technologiques en rapide mutation et les autres ressources considérables dont nous disposons pour contribuer au bien-être des générations futures.
Nous devons tout mettre en œuvre pour que chaque décision prise aujourd’hui tienne compte de son impact sur les droits humains et sur notre planète pour les générations à venir. Non pas seulement pour un cycle électoral, ni pour la durée du mandat d’un directeur général. Nous devons tous être des prédécesseurs efficaces et responsables, et laisser derrière nous un héritage honorable.
États, entreprises et associations d’entreprises, écoles de commerce, société civile, organisations internationales, personnes et communautés concernées, y compris les syndicats, les défenseurs des droits humains et les peuples autochtones : nous devons tous unir nos efforts pour être en mesure de réaliser le plein potentiel des droits humains.
Chers participants,
Les entreprises, comme tous les secteurs de la société, bénéficient de la paix. De la justice. D’institutions solides et stables. De sociétés et d’économies libres et développées de manière durable. Et d’une réputation professionnelle exempte de toute implication dans des atteintes aux droits humains.
En cette période dangereuse, le monde entier compte plus que jamais sur les entreprises pour jouer leur rôle.
J’invite les chefs d’entreprise parmi vous qui reconnaissent l’immense valeur des droits humains dans leurs pratiques commerciales à user de leur influence et de leur voix, et à contribuer à remettre notre monde sur la bonne voie.
C’est ce genre d’encadrement que nous pouvons admirer.
Je vous souhaite des discussions fructueuses.