Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Territoire palestinien occupé : selon Volker Türk, « tout projet pour un avenir meilleur doit tenir compte du passé, donc il est crucial d’établir les responsabilités »
26 février 2025

Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquante-huitième session du Conseil des droits de l’homme – Dialogue interactif sur la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé
Monsieur le Président,
Excellences,
Nous sommes à un tournant de la crise dans le Territoire palestinien occupé.
Un cessez-le-feu fragile permet à la population de Gaza de respirer, aux otages israéliens et aux détenus palestiniens d’être libérés, et à l’aide humanitaire vitale d’être fournie.
En cette période délicate, le monde doit se demander comment résoudre des décennies de conflit et mettre fin au cycle de la violence. Tout projet pour un avenir meilleur doit tenir compte du passé, donc il est crucial d’établir les responsabilités et de garantir la justice face aux violations.
Depuis plus de 57 ans, les populations de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, étouffent sous l’occupation israélienne. Les droits humains les plus fondamentaux leur ont été refusés, qu’il s’agisse du droit à l’autodétermination, de la liberté de circulation ou d’un niveau de vie suffisant. À Gaza, ils ont été soumis à des blocus, qui s’apparentent à des peines collectives. En Cisjordanie, les colonies illégales et la violence ne cessent de croître depuis des décennies, en violation du droit international, avec une augmentation significative au cours des trois dernières années. La plupart de ces violations sont restées impunies.
Rien ne justifie les horribles attaques commises le 7 octobre 2023 lorsque le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens ont brutalement attaqué des communautés israéliennes, tué des civils et pris pour otages plus de 250 personnes, et je n’ai jamais cessé de condamner ces actes.
Rien ne justifie non plus la manière épouvantable dont Israël a mené ses opérations militaires à Gaza, qui ont constamment violé les principes fondamentaux du droit international humanitaire.
Selon le Ministère de la santé de Gaza, plus de 48 000 personnes, dont la plupart sont des femmes et des enfants, ont été tuées.
Plus de 35 000 enfants ont perdu un ou deux parents.
Plus de 1 054 membres du personnel médical ont été tués et de nombreux autres ont été blessés ou détenus par les forces israéliennes.
Au moins 277 membres du personnel des Nations Unies ont été tués, ainsi que 200 journalistes et professionnels des médias.
Plus des deux tiers des infrastructures essentielles sont détruites ou endommagées. L’ampleur de la dévastation des éléments fondamentaux de la vie civile dans la bande de Gaza est immense, des habitations aux hôpitaux, en passant par les écoles et le système judiciaire.
Les restrictions imposées par Israël, malgré ses obligations en tant que puissance occupante, ont créé une catastrophe sur le plan humanitaire.
On estime que 90 % de la population a été déplacée, souvent à plusieurs reprises.
En Cisjordanie, Israël a intensifié son recours à une force inutile et disproportionnée contre les Palestiniens, a détruit des camps de réfugiés, a sévèrement restreint la circulation et a déplacé des dizaines de milliers de personnes. Dans le nord de la Cisjordanie, de nombreuses personnes ont désormais besoin d’une aide humanitaire d’urgence. La torture et les mauvais traitements infligés aux détenus ont été une caractéristique constante et épouvantable de toutes les parties.
La répression sévère de l’espace civique, qui touche en particulier ceux qui travaillent sur les droits de l’homme et les questions humanitaires, par le biais de menaces, d’intimidations et d’autres mesures, est alarmante.
Derrière chaque statistique affreuse se cache une vie perdue, déchirée ou brisée. Nous ne pouvons pas encore saisir toute l’ampleur de cette tragédie ni les nombreuses années de traumatisme, de chagrin et de deuil qui nous attendent.
Monsieur le Président,
Le rapport qui vous est présenté aujourd’hui fait le point sur les nombreuses violations du droit international des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé et sur l’absence de mesures concrètes d’établissement des responsabilités face à ces dernières.
La conduite des hostilités à Gaza et en Israël depuis octobre 2023 témoigne d’un mépris sans précédent pour les principes du droit international humanitaire.
Comme nous venons de le voir, et comme le HCDH et d’autres l’ont démontré, les moyens et les méthodes de guerre d’Israël ont causé un niveau stupéfiant de pertes humaines et de destructions, ce qui suscite des inquiétudes quant à la commission de crimes de guerre et d’autres atrocités criminelles possibles.
Les autorités israéliennes ont procédé à un nombre limité d’instructions et de mises en accusation, par exemple pour mauvais traitements infligés à des détenus.
Toutefois, il existe de sérieux doutes quant à la capacité et à la volonté du système judiciaire israélien de rendre des comptes, conformément aux normes internationales, notamment en ce qui concerne les homicides illicites de Palestiniens à Gaza ou en Cisjordanie.
Le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens ont enlevé, détenu et torturé des otages à Gaza, et ont tiré sans discrimination des projectiles sur le territoire israélien, ce qui constitue des crimes de guerre. Il est fort à craindre qu’ils aient commis d’autres violations graves du droit international humanitaire à Gaza, notamment le regroupement intentionnel d’objectifs militaires et de civils palestiniens.
Le HCDH n’a pas connaissance de mesures prises par le Hamas et d’autres groupes palestiniens pour punir les auteurs de toutes les violations.
Monsieur le Président,
Toute tentative visant à bâtir un avenir pacifique où de telles horreurs ne se reproduiront plus doit pouvoir garantir l’établissement des responsabilités.
Le bilan tragique de ce conflit, et de tant d’autres, montre clairement que l’impunité engendre davantage de violence.
Les violences ont le champ libre pour se propager dans d’autres zones de guerre.
Cela nous nuit à tous, ainsi qu’aux futures générations.
Délégitimer et menacer les institutions internationales qui sont là pour servir la population et faire respecter le droit international nous nuit également à tous.
Il est clair que toutes ces violations et toutes ces atteintes doivent faire l’objet d’une enquête indépendante.
Excellences,
Il est urgent de mettre fin au conflit, de libérer sans condition tous les otages, de relâcher les personnes détenues arbitrairement et de mettre fin le plus rapidement possible à la présence illégale d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, comme l’a affirmé la Cour internationale de Justice.
Le cessez-le-feu doit tenir. Chaque phase doit être mise en œuvre par les deux parties, de bonne foi et dans son intégralité. Nous devons tous faire tout ce qui est en notre pouvoir pour construire sur cette base, pour montrer la voie vers une paix durable, afin que les Palestiniens et les Israéliens puissent vivre côte à côte, et égaux en dignité et en droits. C’est au peuple palestinien qu’il appartient de déterminer son propre avenir.
Nous devons nous opposer à toute normalisation de comportements illégaux, y compris les propositions d’annexion ou de transfert forcé, qui pourraient menacer la paix et la sécurité des Palestiniens et des Israéliens, ainsi que de l’ensemble de la région.
Le moment est venu de faire prévaloir les voix de la raison, de trouver des solutions qui garantiront la justice et feront place à la compassion, à l’apaisement et à la vérité.
Cela commence par reconnaître la douleur et la souffrance de l’autre. Nous avons vu trop de discours déshumanisants, y compris de la part des dirigeants politiques.
La défense et le maintien de l’édifice international des droits de l’homme et de la loi relèvent de la responsabilité de chacun.
L’alternative est impensable pour les Israéliens, les Palestiniens et notre humanité commune.
Je vous remercie.