Membres du personnel de l’ONU, dont huit collègues du HCDH, détenus au Yémen
Le HCDH appelle à leur libération immédiate
Get Involved
Le HCDH appelle à leur libération immédiate
Déclarations Procédures spéciales
22 février 2022
Prononcé par
I. Introduction
À l'invitation du gouvernement du Mali, j'ai effectué une visite officielle dans le pays du 8 au 18 février 2022. Je suis reconnaissant au gouvernement pour l'ouverture et la coopération dont j'ai bénéficié tout au long de la préparation et de l'exécution de ma mission. Je suis également reconnaissant à la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) et en particulier la Division des Droits de l'Homme et de la Protection, pour son soutien, avant et pendant la mission. J'ai rencontré des autorités maliennes, notamment le Premier Ministre, le Ministre des affaires étrangères et de la Coopération internationale, le Ministre de la justice et des Droits de l'Homme, Garde des Sceaux, le président du panel des hautes personnalités pour les Assises nationales de la Refondation, la vice-présidente de la Commission nationale des droits de l'homme, ainsi que les autorités judiciaires. J'ai également rencontré les organisations de la société civile, les organisations non gouvernementales, l'opposition politique, des représentants du corps diplomatique, les agences, fonds et programmes des Nations Unies, le Commandant de la Force Conjointe du G5 Sahel ainsi que le Représentant Spécial du Secrétaire General des Nations Unies et Chef de la MINUSMA. J'ai pu également rencontrer l'ancien premier ministre M. Soumeylou Boubèye Maïga et l'ancienne ministre de l'Economie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko, qui sont en détention depuis le 26 août 2021. En ce qui concerne M. Maïga dont la santé s'est gravement détériorée, j'appelle les autorités maliennes à autoriser sans délai son évacuation médicale pour lui permettre de recevoir des soins appropriés. Je prends note de la réponse encourageante des autorités à ce sujet. Je me suis également rendu dans les régions de Mopti et de Tombouctou, où j'ai rencontré les autorités locales civiles et militaires, les organisations de la société civile, et les agences des Nations Unies. Ces autorités ont unanimement salué l'appui qu'elles reçoivent de la MINUSMA.
II. Aspects positifs
Pour la première fois depuis le début de mes visites en 2018, on note une amélioration tangible dans le domaine sécuritaire, sur la question des personnes déplacées, des droits humains et des dynamiques de paix endogènes, surtout au Centre du Mali; ce qui est reconnu par les Forces de Défense et de Sécurité Maliennes, l'Administration et la société civile malienne.
En ce qui concerne la situation des droits humains, le nombre des violations des droits humains et atteintes à ces droits documentées au cours du dernier trimestre de l'année 2021 par la MINUSMA a connu une baisse de 27,10% en passant de 594 à 433. Dans le même ordre d'idées, selon le Cluster Protection, l'analyse de la situation de protection pour le mois de décembre a indiqué que 373 incidents de protection ont été enregistrés par le système de surveillance, contre 531 en novembre 2021 (soit une baisse de 29,75%). Le Cluster Protection a noté une baisse significative des violations des droits de l'homme enregistrées à la fin de l'année en général, à l'exception des violations du droit à la vie, où le plus grand nombre a été enregistré au dernier trimestre de l'année 2021, avec 31 en octobre, 23 en novembre et 61 en décembre.[1]
Un des indicateurs de l'amélioration de la situation sécuritaire est la diminution récente du nombre des personnes déplacées internes et des conflits intercommunautaires. En effet, selon la Matrice de Suivi des Déplacements (DTM), le nombre des personnes déplacées internes est passé de 401736 personnes en septembre 2021 à 350110 en décembre 2021, soit une baisse de 13%. Dans la région de Gao, le nombre des personnes déplacées internes a baissé de près de la moitié (49%) entre les mois de septembre et décembre 2021. Cette baisse s'expliquerait notamment par la pacification progressive de certaines localités du Centre et du Nord. [2]
En dépit d'un climat politique délétère, marqué par le durcissement des autorités maliennes de la transition, la défiance générale qui n'épargne pas les partenaires internationaux, les tensions diplomatiques, les malentendus et le dialogue de sourds, force est de constater que le soutien de la communauté internationale et de la MINUSMA a contribué à cette éclaircie et permettrait l'espoir d'un horizon de stabilité dans la durée, si ces efforts sont soutenus et consolidés. Malheureusement, l'annonce du retrait de certaines forces internationales tempère cet optimisme.
III. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
Cependant, les améliorations tangibles de la situation ne doivent pas dissimuler les défis sérieux en matière de sécurité et des droits humains qui doivent être relevés par le Mali et par la communauté internationale pour renforcer et consolider les progrès réalisés sur le terrain. Sur le plan sécuritaire, les Groupes Extrémistes Violents notamment la Jama'at Nusrat al-Islam wal Muslimin - JNIM (le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans - GSIM), l'Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et autres groupes similaires ainsi que les groupes armés communautaires dits d'autodéfense continuent de mener des attaques contre les populations civiles, de tuer et d' enlever les civils ; d' imposer leur interprétation de la charia prélevant la « zakat », imposant aux femmes le port du voile (noir) et aux hommes le port de la barbe et des pantalons courts (dont la taille ne doit pas dépasser la cheville), interdisant le curriculum classique dans les écoles qu'ils autorisent en les transformant en écoles coraniques (madrasas). C'est la situation qui prévaut dans les zones qui échappent encore au contrôle de l'Etat malien, notamment dans les secteurs ou les Forces de Défense et de Sécurité Maliennes n'établissent pas une présence permanente. Pour assurer leur durabilité, les succès engrangés sur le plan militaire devraient s'accompagner immédiatement du retour effectif de l'autorité de l'État et des services sociaux de base sur toute l'étendue du territoire malien. A cet égard, il faut souligner la situation très préoccupante de l'école malienne, qui mérite une attention toute particulière de tous les acteurs impliqués dans la stabilisation du pays car la plus sérieuse des bombes sociales se profile à l'horizon avec son effondrement. Selon les chiffres des Nations Unies, le nombre d'écoles fermées en raison de l'insécurité a augmenté de manière sensible en passant de 1344 en janvier 2021 avec 403000 élèves affectés à 1664 écoles en décembre 2021 avec 499200 élèves affectés. Ce problème initialement limité aux régions du centre et du nord du Mali s'est progressivement répandu à certaines régions du sud, notamment Sikasso (115 écoles fermées et 34500 élèves affectés) et Koulikoro (92 écoles fermées et 27600 élèves affectés). En outre, la fermeture des écoles aurait contribué à l'augmentation des mariages précoces ainsi qu'à l'exode rural des filles, un phénomène qui aggraverait les risques d'exploitation et d'abus sexuels contre ces filles. Par ailleurs, l'insécurité continue d'avoir un impact considérable sur la situation des droits fondamentaux de la femme avec la récurrence inquiétante des cas de violence basée sur le genre.
Concernant la lutte contre l'impunité, elle doit faire l'objet d'un intérêt croissant de la part des autorités publiques avec l'ouverture des poursuites judiciaires pour toutes les allégations des violations graves des droits de l'homme et atteintes à ces droits. Parmi ces violations et atteintes, figurent celles commises dans le cadre des conflits intercommunautaires au Centre du Mali ainsi que celles attribuées aux forces de défense et de sécurité maliennes. Là où les choses bougent c'est l'ouverture des enquêtes judiciaires après les allégations des violations des droits de l'homme et des atteintes à ces droits. Le défi persistant demeure l'arrestation et la poursuite des auteurs présumés de crimes dument identifiés, faute de force publique notamment dans les nombreuses zones où l'Etat est absent mais aussi du fait de la peur des victimes de témoigner (en raison du risque de représailles). La consolidation des acquis récents en matière de sécurité crée un climat favorable à une lutte effective contre l'impunité pour les violations des droits humains et atteintes à ces droits.
Concernant le respect des libertés fondamentales (notamment la liberté d'expression et de la presse), j'exprime mes profondes préoccupations par rapport au rétrécissement de l'espace civique dont tous les acteurs se plaignent, en l'occurrence la société civile et une partie de l'opposition. Tous sont unanimes qu'il est de plus en plus difficile d'exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d'être emprisonnée ou lynchée sur les réseaux sociaux. Ce climat délétère a conduit plusieurs acteurs à l'autocensure par crainte de représailles des autorités maliennes de la transition et/ou de leurs sympathisants. Je suis particulièrement préoccupé par le risque de confrontation et de violence entre les sympathisants des autorités maliennes de la transition et ceux des partis d'opposition. A cet égard, le « Cadre d'échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie » a, en date du 9 février annoncé qu'il ne reconnaitrait plus les autorités de la transition à partir du 25 mars prochain. En réponse à cet ultimatum, un acteur politique membre du Conseil National de Transition a récemment annoncé que son mouvement mettrait en place des « brigades de vigilance » contre ceux qui s'apprêtent à organiser des manifestations contre les autorités maliennes de la transition en mars prochain.
J'appelle les autorités maliennes de la transition à prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les actes de violence ou d'incitation à la violence et à s'assurer que les auteurs répondent de leurs actes. J'appelle tous les acteurs concernés à œuvrer en faveur de la désescalade et de l'instauration d'un consensus sur les défis démocratiques, sécuritaires, sociaux et des droits humains qui hantent le pays avec le brutal basculement géopolitique.
J'exprime ma profonde inquiétude face au nouveau contexte de forte bipolarisation géopolitique qui pousse au départ, la Force Barkhane et la Task Force Takuba au moment où la menace djihadiste/terroriste se répand lentement et surement vers les pays de la façade maritime de l'Afrique de l'Ouest, donnant lieu à l'avènement d'un nouveau monde d'incertitudes au Mali et au Sahel.
J'appelle la CEDEAO à lever dans les meilleurs délais, les sanctions contre le Mali qui ont des conséquences néfastes sur les droits humains des personnes les plus vulnérables, tout en invitant les autorités maliennes à dialoguer avec l'organisation sous-régionale pour trouver un accord permettant le retour à l'ordre constitutionnel dans des délais raisonnables.
Tous comptes faits et toutes passions mises à part, force est de reconnaitre pour la communauté internationale et africaine la nécessite de repenser les réponses sécuritaires au Sahel et j'appelle également à l'élaboration des stratégies sécuritaires plus intégrées et focalisées sur la protection des populations civiles et la protection de leurs droits humains fondamentaux.
Le Mali doit ouvrir davantage l'espace civique et le débat démocratique et éviter tout ce qui pourrait contribuer à son isolement et en rajouter à une vulnérabilité qui impacte sur les droits humains.
J'appelle la communauté internationale à évaluer les conséquences du départ de l'Opération Barkhane et de la Task Force Takuba sur les menaces sécuritaires et leurs conséquences sur les droits fondamentaux des populations civiles.
Je vous remercie.
[1] "UNHCR Mali Factsheet - December 2021" (2 fevrier 2022) p. 2 <https://reliefweb.int/report/mali/unhcr-mali-factsheet-december-2021>
[2] « Mali : Rapport Matrice de Suivi des Déplacements (DTM) Décembre 2021 » (2 février 2022) pp. 5 et 6 < https://reliefweb.int/report/mali/mali-rapport-matrice-de-suivi-des-d-placements-dtm-d-cembre-2021>