Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Volker Türk conclut sa visite officielle au Venezuela
28 janvier 2023
Bonjour et merci de votre présence.
Je tiens tout d’abord à remercier le Gouvernement pour son invitation. Au cours de ma visite ces deux derniers jours, j’ai rencontré le Président Nicolás Maduro, la Vice-Présidente Delcy Rodríguez, le Ministre de l’intérieur, de la justice et de la Paix, et le Ministre de la défense. J’ai également rencontré le Président de l’Assemblée nationale et le chef de la délégation gouvernementale au Dialogue de Mexico, des discussions visant à résoudre les crises politiques et économiques du pays.
J’ai également assisté à des réunions avec le Président de la Cour suprême, le procureur général et le Médiateur. En outre, j’ai rencontré des membres de la délégation de la plateforme unitaire du Dialogue de Mexico. Ces réunions m’ont permis d’avoir une vision globale et variée des difficultés auxquelles le Venezuela est confronté.
Plus généralement, lors de mes missions dans les pays, il est fondamental pour moi de pouvoir m’adresser à un éventail de personnes aussi large que possible. Ici, à Caracas, j’ai rencontré plus de 125 membres de la société civile, défenseurs des droits humains, victimes de violations des droits de l’homme et représentants d’organisations de victimes provenant de tout le pays. Je les remercie pour les réunions ouvertes et franches auxquelles j’ai participé. J’ai également beaucoup appris en rencontrant des représentants de l’Église catholique romaine.
Permettez-moi de vous livrer certains de mes constats sur cette visite :
- La société vénézuélienne fragmentée et divisée, et le manque de confiance entre les différentes parties prenantes et au sein de ces dernières.
- Le besoin impérieux et l’empressement exprimés par nombre de mes interlocuteurs de construire des passerelles pour tenter de combler ces fossés.
- Les difficultés en matière de droits de l’homme auxquelles le pays est confronté dans les sphères civile, politique, économique et sociale.
- La nécessité pour les acteurs nationaux et internationaux et pour l’ONU d’aider le Venezuela à surmonter ses crises. Et aussi, ce qui est important, la possibilité de commencer à surmonter les profondes divisions et à reconstruire le contrat social entre les Vénézuéliens.
Lors de toutes mes interventions, j’ai souligné l’importance du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme cette année. Il ne s’agit pas d’une simple date dans l’agenda ou d’un texte miraculeux, mais d’une véritable chance d’aborder et de faire avancer de nombreuses questions de longue date, de promouvoir le dialogue et de favoriser l’apaisement après des décennies de rupture.
Au cours de conversations franches avec les autorités, j’ai soulevé notamment des questions relatives à l’espace civique, aux conditions de détention et aux retards judiciaires, les encourageant à prendre des mesures significatives pour réformer les secteurs de la justice et de la sécurité, et à prendre l’initiative d’instaurer la confiance avec les victimes et les organisations de la société civile, à les écouter, à les inclure de manière significative dans les débats et à trouver des solutions pour leur venir en aide, en particulier en ce qui concerne les victimes.
À la suite de ma rencontre avec le Président Maduro, ce dernier a publiquement exprimé sa volonté de travailler à l’amélioration du système judiciaire. Ce domaine doit être réformé en priorité et j’offre le soutien et l’expertise du HCDH pour poursuivre cette tâche.
Les discussions que j’ai eues m’ont permis de constater que l’ensemble du spectre politique et social reconnaît la nécessité d’une réforme.
J’ai entendu des récits de personnes détenues arbitrairement et torturées, et de membres de leur famille tués lors d’opérations de sécurité et de manifestations. Une femme a notamment raconté avec une vive émotion qu’il y a deux ans, sa sœur avait été arrêtée, violée et torturée. Lors de mes rencontres avec le Président et plusieurs ministres, j’ai demandé que toutes les personnes détenues arbitrairement soient libérées. Cela fait également partie de mon appel mondial aux gouvernements pour qu’ils amnistient, gracient ou tout simplement libèrent toutes les personnes détenues arbitrairement pour avoir exercé leurs droits humains fondamentaux.
J’ai également soulevé plusieurs autres questions, dont l’utilisation extensive et prolongée de la détention provisoire et la nécessité d’adopter des réformes concernant les personnes privées de liberté.
J’ai obtenu des engagements selon lesquels les plaintes liées à des actes de torture seraient traitées avec fermeté, feraient l’objet d’une enquête approfondie et aboutiraient à des poursuites judiciaires. J’ai encouragé les autorités à prendre des mesures décisives pour mettre fin à la torture une fois pour toutes et ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, qui vise à la fois à prévenir la torture et à améliorer les conditions de détention. Ces mesures seraient également conformes à l’engagement volontaire pris par le Venezuela dans le cadre de l’Examen périodique universel, qui se déroule à Genève, de procéder à un examen complet du cadre juridique existant en matière de prévention de la torture et de renforcer la Commission nationale pour la prévention de la torture.
Je les ai également exhortés à ratifier la Convention sur les disparitions forcées et l’accord régional d’Escazú sur l’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Les acteurs de la société civile ont partagé des informations sur la situation souvent désastreuse dans les prisons et le manque de nourriture adéquate, de médicaments et d’accès à des soins de santé adéquats et opportuns. Mon équipe ici effectue des visites régulières dans les centres de détention mais, comme je l’ai signalé aux autorités, cela doit inclure tous les centres de détention, y compris ceux gérés par l’armée. D’après mes conversations avec les autorités, je pense que nous aurons bientôt un accès libre à tous les centres de détention du pays.
En ce qui concerne d’autres questions spécifiques, j’ai été heureux d’entendre que les autorités s’engagent à éliminer l’article 565 du Code de justice militaire qui érige en infraction les relations entre personnes de même sexe, et qu’elles qualifient d’obsolète. Cette mesure serait conforme à l’une des principales demandes que j’ai entendues de la part d’un représentant de la communauté LGBTIQ+.
J’ai pu partager nos observations – et nos inquiétudes – liées aux droits de l’homme concernant la proposition de loi qui régit les ONG. J’ai réitéré l’importance de garantir un espace civique. J’invite vivement les autorités à prendre en compte nos observations.
J’ai également exhorté les autorités à réexaminer les dispositions juridiques très restrictives qui criminalisent l’avortement et qui entraînent la mort de femmes contraintes de recourir à des procédures clandestines risquées.
Mon équipe a eu accès à certains dossiers judiciaires et à certaines audiences afin de pouvoir formuler des recommandations sur la conduite des enquêtes et des procédures du point de vue des droits de l’homme. Cette démarche est importante et j’ai encouragé les autorités à en faire une pratique courante.
Les difficultés économiques et sociales auxquelles le Venezuela est confronté, notamment en ce qui concerne le salaire minimum et les retraites, et leur impact sur la vie quotidienne des gens en limitant leurs droits à l’alimentation, à l’eau, aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres droits économiques et sociaux, m’ont été communiqués avec force notamment lors de mes rencontres avec la société civile, les syndicalistes et les retraités.
Ils ont décrit les coupures de courant régulières, le manque d’eau courante, les enseignants quittant leur emploi, incapables de survivre avec leur salaire mensuel. Les représentants de l’Église m’ont dit qu’ils n’avaient pas besoin de voir les rapports pour savoir ce qui se passait ; ils peuvent voir la souffrance de la population lorsqu’ils descendent dans la rue pour aider certaines des communautés les plus vulnérables. Selon les statistiques fournies par l’ONU, plus de sept millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire dans le pays.
L’ensemble des personnes avec lesquelles j’ai discuté, y compris les acteurs humanitaires et les organismes des Nations Unies, m’ont parlé de l’impact causé par les sanctions sectorielles sur les couches les plus vulnérables de la population et des obstacles qu’elles créent pour le redressement et le développement du pays, surtout après la pandémie de COVID-19. Les personnes que j’ai rencontrées ont décrit leur lutte pour obtenir des produits de base et essentiels pour maintenir leurs moyens de subsistance, l’incapacité de trouver des médicaments dont leurs proches ont désespérément besoin, et le choc mental, l’anxiété et la dépression dans lesquels elles tombent lorsqu’elles doivent s’endetter à nouveau pour survivre.
Bien que les origines de la crise économique au Venezuela soient antérieures à l’imposition de sanctions économiques, comme je l’ai souligné lors de mes échanges, il est évident que les sanctions sectorielles imposées depuis août 2017 ont exacerbé la crise économique et porté atteinte à l’exercice des droits de l’homme.
Le HCDH a recommandé à plusieurs reprises aux États Membres de suspendre ou de lever les mesures qui ont un effet néfaste sur les droits de l’homme et qui aggravent la situation humanitaire, un appel que nous lançons également à l’égard des mesures coercitives unilatérales imposées à d’autres pays.
Les peuples autochtones ont également fait part de leurs griefs légitimes et de leurs craintes pour leurs communautés, face aux menaces que font peser sur leurs moyens de subsistance, leur culture et même leur existence les activités minières, les organisations de trafic de drogue et les groupes armés illégaux. Il est essentiel que toute décision les concernant soit fondée sur leur consentement préalable et éclairé.
J’ai pu m’entretenir avec les délégations du Gouvernement et celles de la plateforme unitaire du Dialogue de Mexico. J’ai réitéré notre soutien aux discussions en cours et souligné la nécessité d’écouter les victimes dans le processus politique. Sans sous-estimer les défis qui les attendent, je les ai exhortés à s’écouter mutuellement et à entamer un dialogue constructif afin de trouver une vision commune pour l’avenir. Le chemin sera jonché d’obstacles, mais comme une rivière qui continue à couler malgré les pierres sur son chemin, l’engagement et le dialogue constructif peuvent forger un chemin autour des obstacles.
Toutes les parties doivent réfléchir à l’avenir qu’elles souhaitent pour le Venezuela et nous sommes prêts à servir de passerelle entre les institutions de l’État et la population, prêts à offrir notre perspective et notre expertise en matière de droits de l’homme, et également en ce qui concerne le processus électoral, et prêts à contribuer à ce que le discours sur les droits de l’homme ne soit pas manipulé à des fins politiques.
L’un des témoignages les plus éloquents que j’ai entendus est celui d’un homme auquel des membres de mon équipe avaient rendu visite alors qu’il était en détention afin d’œuvrer pour sa libération. Cela, dit-il, l’a rassuré sur le fait qu’il n’avait pas été oublié. En effet, tous ceux à qui j’ai parlé ont apprécié la présence de notre petit bureau ici au Venezuela.
En ce qui concerne les Vénézuéliens et Vénézuéliennes se trouvant à l’extérieur du pays, j’ai encouragé les autorités vénézuéliennes à poursuivre et à renforcer leur coopération avec les organismes des Nations Unies afin de garantir un retour volontaire, sûr et digne à tous ceux qui le souhaitent.
Dans toutes mes interactions, j’ai entendu une forte appréciation du travail du HCDH dans tout le pays, qui a commencé à fonctionner après la visite de ma prédécesseuse, Michelle Bachelet. Je trouve encourageante la décision du Gouvernement de prolonger de deux ans la présence de l’équipe au Venezuela, afin qu’elle puisse poursuivre et même renforcer son action en faveur des droits de l’homme dans le pays.
Je m’engage à poursuivre mon action en faveur du Venezuela, non seulement car je suis chargé de ce mandat par l’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, mais aussi parce que je suis fermement convaincu que c’est essentiel pour garantir un avenir meilleur. J’offre mon soutien et celui de mon équipe à toutes les parties prenantes.
Merci beaucoup.
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