Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Syrie : durant sa visite, Volker Türk appelle à accorder une place centrale aux droits humains pour faire face aux énormes défis et risques
15 janvier 2025

Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Damas, Syrie
Masa al-khair, merci de votre présence.
C’est une première dans l’histoire. Jamais un Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme ne s’était rendu en Syrie. J’ai été impressionné par le courage, la force et la résilience dont ont fait preuve les Syriens et Syriennes que j’ai rencontrés, compte tenu des atrocités et des traumatismes qu’ils ont subis au fil des ans. Ce fut en effet très émouvant d’écouter leur détresse.
Ces 14 dernières années, le HCDH a multiplié ses efforts en surveillant la situation, en recueillant des informations et en publiant de nombreux rapports pour attirer l’attention de la communauté mondiale sur la situation extrêmement grave des droits humains en Syrie, et pour appeler à l’établissement des responsabilités, bien que l’accès au pays lui ait été refusé.
Durant ma visite, j’ai entendu le témoignage de nombreuses victimes. L’un d’eux, un ancien soldat soupçonné d’être un transfuge, avait été incarcéré dans la tristement célèbre prison de Sednaya, dont nous dénoncions les violations depuis des années. Il m’a raconté les traitements cruels qu’il a subis. Je ne n’ose même pas vous raconter les coups et les actes de torture dont il a été victime. Comme des milliers d’autres personnes détenues et disparues dans cette prison et dans tant d’autres depuis des décennies, il a été jeté dans une cellule glaciale avec des dizaines d’autres personnes, avec seulement quelques couvertures à se partager. À l’aube, lorsqu’ils entendaient les gardes à leur porte, ils reculaient, tremblant de peur, jusqu’au fond de leur cellule, craignant d’être à nouveau torturés, voire exécutés. Des milliers de personnes sont mortes en prison à travers le pays.
Je me suis aussi rendu dans le quartier résidentiel de Jobar, à Damas, que l’on ne peut décrire aujourd’hui que comme un terrain vague apocalyptique. Pas un seul bâtiment de ce quartier n’a été épargné par les vagues de bombardements qui se sont succédées. Il est inconcevable que de tels massacres et destructions aient eu lieu. Le fait que des armes chimiques interdites aient été utilisées contre des civils ailleurs dans le pays, et ce à plusieurs reprises, en dit aussi long sur l’extrême brutalité des tactiques utilisées par l’ancien régime. Ces actes constituent certains des crimes les plus graves au regard du droit international humanitaire.
Des victimes et des groupes de la société civile les représentant m’ont parlé de leurs besoins immédiats et de leurs aspirations à long terme. Malgré la misère dans laquelle ils sont plongés, ils parlent de leur soulagement et de leur espoir pour l’avenir. À Damas, j’ai également pu voir les gens vaquer à leurs occupations quotidiennes. Faisant leurs courses au marché. Prenant un café. Se rendant dans des lieux de culte. Des enfants jouant dehors.
Mais il y a tant de choses à faire. Il s’agit d’un moment très important, qui s’accompagne d’énormes défis et risques. Le peuple syrien a besoin de toute l’aide possible pour reconstruire un pays qui puisse fonctionner pour tous les Syriens. Je suis venu ici pour vous assurer que le HCDH continuera à soutenir des processus inclusifs décidés et orientés sur le plan national.
L’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté de la Syrie font toujours l’objet de menaces très réelles qui doivent être pleinement respectées et rigoureusement défendues. Les conflits et les hostilités en cours doivent cesser.
Au cours de cette visite, j’ai rencontré le chef des autorités provisoires, Ahmed Al-Sharaa. Il a reconnu et m’a assuré de l’importance du respect des droits humains pour l’ensemble de la population syrienne et pour les différentes composantes de la société syrienne, ainsi que de l’importance de poursuivre les efforts d’apaisement, le renforcement de la confiance et la cohésion sociale, et de réformer les institutions.
Nous avons discuté des perspectives et des difficultés qui attendent cette nouvelle Syrie. Les droits humains doivent être au premier plan, afin que tous les êtres humains vivent libres et égaux en dignité et en droits.
Or, les défis sont gigantesques.
La priorité doit être de sauver des vies. Des centaines de milliers de personnes ont perdu la vie et une grande partie du pays est en ruines. 90 % de la population est plongée dans la pauvreté, le système de santé est à genoux et de nombreux établissements scolaires sont fermés. Des millions de personnes sont toujours déplacées à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Les droits à l’alimentation, à la santé, à l’éducation et au logement sont des droits humains fondamentaux, et des efforts rapides, collectifs et concertés doivent être déployés pour les garantir. Lorsque la communauté internationale se penchera sur la question des sanctions, il sera essentiel de garder à l’esprit leur impact sur la vie du peuple syrien. J’appelle donc à un réexamen urgent des sanctions sectorielles en vue de leur levée.
Pour faire avancer les choses, il est essentiel de s’attaquer aux fautes commises par tous les acteurs en Syrie ces 50 dernières années. Les responsables de ces violations des droits humains doivent être amenés à rendre des comptes. Des informations préoccupantes sur les crimes de guerre les plus graves et même sur les crimes contre l’humanité ont été recueillies pendant plusieurs années durant le conflit. Les disparitions forcées, la torture, l’utilisation d’armes chimiques, entre autres atrocités criminelles, doivent faire l’objet d’une enquête approfondie. Justice doit être rendue, de manière équitable et impartiale. Les Syriens eux-mêmes m’ont répété à maintes reprises que c’était ce qu’ils voulaient.
L’ampleur des atrocités criminelles commises dépasse l’entendement. Nous travaillerons sur ces violations et sur d’autres questions en collaboration avec les autres mécanismes de défense des droits humains : la commission d’enquête des Nations Unies, le Mécanisme international, impartial et indépendant et l’Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues en République arabe syrienne, récemment créée. Cette institution, qui vient de voir le jour, travaillera avec les familles, les groupes de victimes et les autorités pour faire la lumière sur le sort et le lieu où se trouvent les très nombreuses personnes disparues à travers la Syrie, et apportera un soutien aux proches.
La justice transitionnelle est cruciale pour l’avenir de la Syrie. Elle vise à apporter une reconnaissance aux victimes, à renforcer la confiance des individus dans les institutions de l’État, à mieux faire respecter les droits humains et à promouvoir l’état de droit. La revanche et la vengeance ne sont jamais la solution. Il faut au contraire mettre en place un processus entièrement national d’apaisement, d’établissement de la vérité et de réconciliation.
Le HCDH est prêt à soutenir les initiatives de justice transitionnelle et toutes les autres réformes de l’état de droit à l’avenir. Nous savons que ces processus ont démontré à maintes reprises qu’ils pouvaient contribuer à résoudre les griefs et les divisions en mettant fortement l’accent sur le sort des victimes.
Les femmes et les filles sont confrontées à d’importantes disparités dans le pays. Si l’on examine les données, il est clair que les inégalités entre les sexes limitent l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à un logement sûr. La reconstruction d’une Syrie qui fonctionne pour tous ses habitants, égaux en dignité et sans discrimination, sera la clé de son succès et de sa stabilité.
Le HCDH compte poursuivre son travail sur les schémas affectant le droit au logement, le droit foncier et le droit à la propriété, notamment sur la façon dont les pratiques d’ingénierie démographique ont porté atteinte à l’accès des Syriens, en particulier des rapatriés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, à ces droits fondamentaux.
Nous disposons d’une équipe dédiée à la Syrie depuis 2013, qui a opéré depuis l’extérieur du pays en raison du refus de l’ancien régime de nous autoriser à travailler en Syrie. Il y a trois semaines à peine, mes collègues ont pu entrer pour la première fois dans le pays et nous nous réjouissons à présent de soutenir les droits humains en Syrie.
Il s’agit d’un moment décisif pour la Syrie, après des décennies de répression. Mon vœu le plus cher est que tous les Syriens puissent s’épanouir ensemble, indépendamment de leur sexe, de leur religion ou de leur appartenance ethnique, et qu’ils puissent construire un avenir commun.
Pour plus d’informations et pour toute demande de la part des médias, veuillez contacter :
Jeremy Laurence (voyageant avec le Haut-Commissaire) : [email protected]
À Damas
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