Membres du personnel de l’ONU, dont huit collègues du HCDH, détenus au Yémen
Le HCDH appelle à leur libération immédiate
17 avril 2024
Pour Rethabile Ratsomo, ce sont de petites choses qui lui rappellent sa « place » présumée dans la société sud-africaine.
Les remarques et les regards en coin sur le lieu de travail, où elle est perçue comme une recrue B-BBEE (le programme sud-africain d’autonomisation économique des Noirs à grande échelle, qui vise à faire progresser et à transformer la participation des Noirs à l’économie du pays) et donc comme incapable de faire son travail. Les commentaires passifs-agressifs des collègues, qui la complimentent constamment sur la façon dont elle parle anglais. Ces microagressions quotidiennes font partie de sa vie.
« Je suis née libre et bien que je sois née après l’avènement de la démocratie en Afrique du Sud, ma race continue de jouer un rôle considérable en tant que Sud-Africaine », a déclaré Rethabile Ratsomo, 29 ans, qui travaille actuellement pour le réseau antiraciste et la fondation Ahmed Kathrada. « De nombreuses personnes continuent de normaliser la discrimination raciale et de perpétuer des comportements préjudiciables. Le racisme reste très répandu. »
Trente ans après la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud est toujours aux prises avec son héritage. L’inégalité d’accès à l’éducation, l’inégalité de rémunération, la ségrégation des communautés et les disparités économiques massives persistent et sont en grande partie renforcées par les institutions et les attitudes existantes. Comment se fait-il que le racisme et la discrimination qui l’accompagne continuent d’exercer une telle influence dans cette nation majoritairement peuplée et gouvernée par des Noirs ?
Le racisme est profondément enraciné dans le tissu économique, spatial et social de ce pays. Il reflète l’héritage de l’oppression et de l’emprise de l’apartheid et du colonialisme. Si des progrès ont été accomplis pour éliminer le fléau du racisme, il faut que chaque personne contribue à son éradication, a déclaré Abigail Noko, Représentante du Bureau régional du HCDH pour l’Afrique australe.
« Pour démanteler des systèmes racistes et discriminatoires aussi profondément ancrés, il faut faire preuve de volonté et de leadership, instaurer un dialogue et mener des activités de sensibilisation de manière à mettre en place des politiques antiracistes qui mettent en œuvre des normes relatives aux droits humains et fournissent un cadre permettant de traiter et rectifier ces injustices et de promouvoir l’égalité », a-t-elle ajouté.
Le projet d’élimination des systèmes racistes dans un pays comme l’Afrique du Sud doit aller de pair avec le processus de décolonisation, tant au niveau institutionnel qu’individuel, a déclaré Tshepo Madlingozi, qui est membre de la Commission sud-africaine des droits de l’homme.
« L’histoire a montré que si l’on ne décolonise pas son esprit, on se met dans la peau de l’oppresseur et on opprime encore et encore d’autres personnes », a-t-il déclaré.
M. Madlingozi s’est exprimé ainsi à l’occasion d’une table ronde sur le démantèlement des systèmes racistes en Afrique du Sud, qui a eu lieu lors du festival des droits de l’homme à Johannesburg en mars dernier. Cet événement a coïncidé avec la Journée nationale des droits de l’homme et la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Ce débat, parrainé par le Bureau du HCDH pour l’Afrique australe, a réuni trois intervenants qui ont répondu à la question générale : comment démanteler le racisme présent dans la « nation arc-en-ciel » afin d’instaurer la liberté, l’égalité et la justice pour tous ?
Samkelo Mkhomi, âgée d’une vingtaine d’années et militant pour la justice sociale et l’égalité, reconnaît qu’un changement de mentalité est nécessaire, en particulier chez les jeunes. Elle a remarqué que nombre de ses pairs « born free », c’est-à-dire nés après l’avènement de la démocratie en Afrique du Sud, éprouvent une certaine méfiance à l’égard d’autres races. L’un de ses amis se méfie de tous les Blancs. Lorsque Samkelo Mkhomi lui a demandé pourquoi, il lui a répondu : « à cause de ce qu’ils ont fait dans le passé. » Ce manque de compréhension délibéré de la part de ses pairs est selon elle héréditaire et empêche d’aller de l’avant.
« Nous avons des perceptions et des stéréotypes hérités de notre famille, de nos expériences sociales, d’expériences qui ne sont pas les nôtres », a-t-elle déclaré. « Et nous nous en sommes servis comme d’un modèle pour juger d’autres personnes. Une fois que les jeunes se seront débarrassés de cela, je pense que nous pourrons commencer à avancer et à démanteler le racisme. »
Tshepo Madlingozi a suggéré que l’un des moyens d’y parvenir serait de ne pas se concentrer uniquement sur les incidents racistes individuels, mais aussi de sensibiliser davantage les institutions et de les inciter à adopter des politiques qui déconstruisent les méthodes de travail actuelles.
« Ce qui compte, c’est de savoir si nous avons démantelé les institutions, les cultures qui perpétuent le racisme », a-t-il déclaré. « Dans le cas contraire, il y aura des Noirs, un gouvernement noir qui continuera à perpétuer le racisme, car c’est la nature même du racisme institutionnalisé. Donc oui, concentrons-nous sur les droits humains individuels. Concentrons-nous sur la justice sociale, mais là où cela importe le plus, c’est l’oppression structurelle institutionnalisée. »
Les séquelles de l’apartheid sont profondes et laissent un héritage de ségrégation, de discrimination et d’inégalités. Les disparités économiques criantes dans le pays en sont la preuve. Un rapport de la Banque mondiale de 2022 sur les inégalités en Afrique australe a donné à l’Afrique du Sud la triste mention de pays le plus inégalitaire du monde.
Ce rapport indique que 80 % des richesses du pays sont entre les mains de 10 % de la population. Et c’est la population noire qui est la plus touchée par la pauvreté. Le rapport attribue la responsabilité des disparités de revenus directement à la race.
« L’héritage du colonialisme et de l’apartheid, enraciné dans la ségrégation raciale et spatiale, continue de renforcer les inégalités », peut-on lire dans le rapport.
La fracture spatiale reflète la fracture économique.
Selon Tessa Dooms, le génie diabolique de l’apartheid résidait dans le projet de ségrégation, qui permettait au gouvernement non seulement de séparer les gens sur la base de catégories arbitraires, mais aussi de créer des différences matérielles entre les communautés pour renforcer l’idée de différences raciales réelles. Ces classifications raciales ont également encouragé l’idée que les différents groupes devaient rivaliser pour des droits humains fondamentaux, la dignité et des perspectives économiques, a-t-elle ajouté.
« Le gouvernement de l’apartheid ne s’est pas contenté de donner des catégories aux gens, il a donné à ces catégories une vraie signification matérielle », a affirmé Tessa Dooms, directrice des programmes de Rivonia Circle au cours de la table ronde. « Tant que ces catégories auront un sens dans le monde, nous aurons encore du travail à faire, pour défaire l’apartheid, défaire le colonialisme, décoloniser. »
Pour ce faire, Tessa Dooms a recommandé une vision pratique de ce à quoi ressemblerait une Afrique du Sud décolonisée, en étant très précise sur les résultats souhaités. Elle a également appelé les groupes privilégiés à faire le gros du travail pour aider à créer plus d’égalité. Tant que les détenteurs de privilèges ne s’efforceront pas d’en élargir l’accès, le cycle se poursuivra, a-t-elle ajouté.
« Nous ne pouvons pas laisser la création d’un monde plus juste aux personnes les plus touchées par l’injustice », a-t-elle déclaré. « Ce n’est pas juste, ce n’est pas bien et cela ne marchera pas. »
Dans le monde entier, le long parcours du pays vers la liberté après l’apartheid a permis à l’Afrique du Sud d’acquérir une réputation internationale de premier rang dans les efforts mondiaux de lutte contre le racisme. En 2001, l’Afrique du Sud a tenu la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, qui a abouti à la Déclaration et au Programme d’action de Durban. La Déclaration et le Programme d’action de Durban constituent une feuille de route qui propose aux États des mesures concrètes pour lutter contre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.
L’une des principales recommandations consistait à demander à chaque pays de créer son propre plan d’action national. Un plan d’action est un moyen par lequel les gouvernements codifient localement leur engagement à agir, avec des mesures concrètes sur la manière dont ils vont combattre le racisme. L’Afrique du Sud a lancé son plan en 2019, avec l’assistance technique du Bureau du HCDH pour l’Afrique australe. Cette assistance a pris de nombreuses formes, notamment la participation aux consultations qui ont abouti au plan d’action national final et l’aide à la mise en place de structures de soutien pour sa mise en œuvre, ainsi que le soutien à la recherche et à d’autres travaux pour aider à développer des systèmes de collecte de données sur des questions liées au plan d’action national.
« Les droits de l’homme jouent un rôle crucial dans le démantèlement du racisme en fournissant un cadre pour traiter et rectifier les injustices historiques, promouvoir l’égalité et garantir que tous les individus sont traités équitablement et avec dignité », a déclaré Abigail Noko.
D’autres secteurs ont été les premiers à adopter des approches novatrices pour éliminer les vestiges de l’apartheid. Les programmes de diversité des entreprises et des gouvernements, dont le programme B-BBEE et le projet de loi de 2020 modifiant la loi sur l’équité en matière d’emploi, visent à promouvoir la diversité et l’équité sur le lieu de travail.
Rethabile Ratsomo, de la fondation Ahmed Kathrada, a déclaré que ces efforts et d’autres mesures visant à traiter la question sous-jacente de savoir comment résoudre ce problème qui persiste dans le pays sont essentiels pour l’éliminer. Tout le monde doit apprendre, parler et agir face au racisme, à la discrimination raciale et à l’intolérance qui y est associée, a-t-elle indiqué.
« Le point de départ pour s’attaquer au racisme systémique et l’éradiquer est de comprendre qu’être antiraciste ne signifie pas seulement être contre le racisme », a-t-elle déclaré. « Cela signifie également qu’il faut être actif et s’élever contre le racisme chaque fois qu’on en est témoin. Plus nous comprenons le racisme, plus il devient facile de l’identifier, ce qui nous permet de le dénoncer et d’agir contre lui lorsque nous le voyons se produire. »