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En RDC, des villageois font face à l’insécurité et la violence pour retrouver leur foyer

10 décembre 2024

Un groupe de villageois se réunit à Beni, en République démocratique du Congo.
© Guilaine Kasasya/Radio Okapi (ONU)

Lucia*, 20 ans, est devenue mère à 14 ans. Elle a survécu à la torture et au déplacement, après avoir dû quitter sa maison en 2019 à la suite d’attaques répétées de groupes armés.

Aujourd’hui, Lucia fait partie des personnes déplacées qui sont retournées dans le village de Mangoko, près de la ville de Beni, en République démocratique du Congo (RDC), malgré l’insécurité qui persiste. Les activités quotidiennes comme la collecte de bois de chauffage et l’agriculture de subsistance comportent un risque accru d’agression, en particulier d’agression sexuelle. Mais il est hors de question pour elle de ne pas sortir.

« Si nous n’avons pas de bois de chauffage, nous ne mangerons pas, et tout peut arriver dans ces fermes lorsque l’on va chercher du bois », explique-t-elle. « Quand [une agression sexuelle] se produit, comment le dire à son mari ? Tu gardes le silence, c’est tout », ajoute Lucia.

Lucia fait ainsi référence à la ville de Beni et ses environs, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Des années de combats ont engendré le déplacement de la moitié des plus de 500 000 habitants qui y vivaient auparavant. Aujourd’hui pourtant, nombreux sont ceux qui reviennent dans de petits villages comme Mangoko pour reprendre leurs logements et leurs terres et voient l’espoir renaître.

Le bureau du HCDH en République démocratique du Congo a contribué à raviver cet espoir. Ce bureau fait partie de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO). Cette mission de maintien de la paix plaide pour le respect des droits humains pour tous.

Selon Patrice Vahard, spécialiste hors classe des droits humains du HCDH, la situation à Beni doit être envisagée non seulement sur le plan des droits civils et politiques, mais aussi de manière beaucoup plus globale, du point de vue de l’intégration de la dimension de genre.

« Grâce à notre travail en République démocratique du Congo, les droits humains sont devenus une passerelle entre les communautés et au sein de celles-ci. Nous nous efforçons de souligner la valeur ajoutée des droits humains dans les efforts de paix et de développement durables au niveau local et communautaire », a-t-il indiqué. « Notre coopération avec la justice militaire a contribué à la lutte contre l’impunité face aux violations des droits commises par les forces de sécurité. Nos actions de sensibilisation ont donné aux femmes plus de moyens pour dénoncer les viols et d’autres formes de violence sexuelle. »

Rentrer chez soi

En novembre 2019, une série d’attaques violentes contre des civils dans la ville et le territoire de Beni, dans la province du Nord-Kivu, a déclenché un exode interne et des déplacements dans tout le territoire.

Malgré l’insécurité, des familles sont rentrées chez elles, espérant que d’autres les rejoignent pour les aider à reconstruire.

« Comme vous pouvez le voir, la ville est vide. Nous voulons que les gens reviennent et vivent dans ces maisons », a déclaré Cyprien Kasekera, une personne âgée originaire de la région. Il espère que les logements abandonnés seront bientôt occupés par leurs anciens propriétaires qui les ont quittés il y a près de six ans. Les gens reviennent lentement depuis trois ou quatre ans.

Lors d’une récente visite au village, Patrice Vahard a qualifié ce dernier de « village fantôme à la croisée des chemins. »

« Un village qui était certainement très dynamique, très actif, où la production agricole de ces braves gens, qui sont impliqués dans la production de cacao, a apporté la prospérité, la richesse et le bonheur à une population qui, à cause de l’insécurité, a dû partir », a déclaré M. Vahard.

Une grand-mère de 90 ans, symbole d’espoir à Beni, en République démocratique du Congo, s’adresse à des membres du personnel du HCDH. © Guilaine Kasasya/Radio Okapi (ONU)

Ces rapatriés sont toutefois restés fidèles à leurs terres, affrontant l’insécurité pour planter du manioc, surveillant leurs maisons, attendant que la situation se stabilise pour pouvoir les rénover avec de la tôle.

Lors d’une visite dans la ville de Beni, des membres du personnel du HCDH ont rencontré une femme de 90 ans qui avait décidé de rester au village, bien que ses propres enfants soient partis pour garder la vie sauve. Elle représente pour ces rapatriés une véritable lueur d’espoir et une source d’inspiration, car elle est restée là, malgré les combats et l’insécurité, rappelant un passé paisible.

Cependant, la paix n’est pas encore là, à en croire M. Vahard. Les attaques répétées contre les femmes rapatriées qui effectuent des tâches de base ont créé selon lui une culture du silence, et très peu d’incidents sont signalés.

« Face aux violences sexuelles dont elles sont souvent victimes, elles sont forcées de garder le silence et de vivre avec leur traumatisme », a-t-il déclaré.

Comme vous pouvez le voir, la ville est vide. Nous voulons que les gens reviennent et vivent dans ces maisons.

Cyprien Kasekera, ancien du village

Imelda Kavila, militante locale pour les droits des femmes de Beni, a décrit les souffrances que les femmes continuent de subir en raison de l’insécurité. Certaines des femmes qui ont été agressées sexuellement ont été infectées par le VIH/SIDA.

« Des fois, tu cours chercher de la nourriture dans le jardin des voisins, mais tu risques d’être attaquée et agressée », a expliqué Imelda Kavila.

Pour créer les conditions nécessaires à un retour à la normale, les jeunes déplacés ont réitéré l’appel au rétablissement de la paix et à l’investissement dans l’éducation.

« Pour nous, c’est un sentiment de satisfaction, on peut montrer au monde qu’on a subi suffisamment d’atrocités, de guerres injustes qui ont entraîné le déplacement de nos populations », a déclaré un jeune militant.

Et Patrice Vahard d’ajouter : « Nous sommes aussi conscients que cela permettra de trouver une solution à la souffrance de la population, afin que même les auteurs qui ont toujours causé cette souffrance puissent un jour se retrouver. »

Le HCDH participe activement à des activités de sensibilisation et à l’élaboration de politiques en matière de justice transitionnelle, qui visent à garantir le principe de responsabilité, à rendre la justice et à assurer la réconciliation.

*Seul le prénom a été utilisé pour cacher son identité.