Une travailleuse domestique devenue dirigeante locale au Liban
09 avril 2025

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Le parcours de Viany Nguemakoue Djouffa, ancienne employée de maison devenue chef d’entreprise, militante et dirigeante locale, est marqué par un dépassement des attentes, une dignité retrouvée et la construction de réseaux de soutien qui transcendent les nationalités et les circonstances.
Son histoire a commencé comme tant d’autres travailleurs et travailleuses domestiques au Liban. Elle est arrivée du Cameroun en 2015 à la recherche d’un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle est entrée dans le système libanais de la kafala, une structure de travail reposant sur le parrainage qui laisse souvent les travailleurs migrants vulnérables à l’exploitation et aux abus. Cependant, contrairement à de nombreuses personnes qui restent piégées dans le système, Viany Nguemakoue Djouffa a trouvé un moyen de gagner son indépendance. Grâce à ses compétences de couturière, elle a lancé son propre atelier, créant ainsi un moyen de subsistance durable en dehors des limites du travail domestique.
Elle a toutefois connu de nombreuses difficultés. « Je suis arrivée à l’aéroport pleine d’espoir, pensant que je travaillerais pendant six mois et que je partirais ensuite en France pour poursuivre mes études dans le secteur de la mode », se souvient-elle.
Son parrain l’avait attirée avec cette fausse promesse.
« Mais la réalité m’a frappée de plein fouet quand on m’a confisqué mon passeport dès ma descente de l’avion », explique-t-elle. « On m’a emmenée dans une petite pièce où les travailleurs migrants étaient assis par terre, divisés par race. Je ne comprenais pas encore tout à fait la portée de ce qui se passait. »
Son premier employeur a réduit à néant toutes ses espérances.
« Six mois [plus tard], je suis allée voir la femme qui m’employait et je lui ai demandé d’utiliser mon salaire pour obtenir mes papiers pour que je puisse partir et poursuivre mon rêve », indique-t-elle. « Elle a regardé son mari, puis moi, et a ri en disant : "tu es à moi. Tu m’appartiens. Tu ne pars pas tant que je ne l’ai pas décidé." »
Pendant plus d’un an, Viany Nguemakoue Djouffa a travaillé sans relâche, dormant dans la cuisine, se levant à l’aube et travaillant sans cesse au service d’un foyer pouvant compter jusqu’à six personnes. Lorsqu’elle a finalement réussi à quitter cette maison, elle est retournée au Cameroun et s’est retrouvée à nouveau piégée dans un cercle vicieux.
« Je suis revenue sans rien. Seulement 35 dollars [des États-Unis] dans la poche. On m’avait pris mon salaire, on m’avait pris mon téléphone [au Liban], tout était parti. J’ai dû repartir de zéro, en faisant de minuscules travaux de couture, gagnant 1 ou 2 dollars à la fois. Comment allais-je pouvoir construire un avenir comme ça ? »
À cours d’options et sous le poids de ses rêves inachevés, elle a fait le choix difficile de retourner au Liban.
« Cette fois, je pensais pouvoir trouver un meilleur employeur », indique-t-elle. « Au lieu de cela, je me suis retrouvée dans une maison avec 14 personnes. Je m’occupais d’un homme handicapé physiquement, je nettoyais toute la maison, je m’occupais des poules, je nourrissais le perroquet, je faisais les récoltes dans le jardin, ça ne s’arrêtait jamais. J’avais le dos brisé, mais je n’avais pas d’autre choix que de continuer. »
Le point de rupture s’est produit lorsqu’elle a été menacée avec un couteau par son employeur.
« C’était terminé. Je savais qu’il fallait que je parte. J’avais déjà trop perdu, et je ne pouvais pas passer ma vie comme ça. »
Toutefois, échapper au système de la kafala ne signifiait pas pour autant être libre. La jeune femme a passé plusieurs semaines à dormir par terre dans un bureau, dans le froid, sans chauffage. Elle a ensuite été contrainte d’intégrer le marché du travail informel et précaire du Liban pour survivre.
« J’ai quitté une forme de kafala pour un autre système d’exploitation plus généralisé », explique-t-elle.
Des traumatismes à direction locale : une véritable transformation
En 2020, alors que le Liban est plongé dans de multiples crises, dont l’effondrement économique et les mesures de confinement dues à la COVID-19, Viany Nguemakoue Djouffa touche le fond.
« Je faisais une grave dépression. J’avais vécu trop de choses. Les abus, l’isolement, la guerre : tout m’étouffait. Un psychologue avec lequel je discutais en ligne m’a conseillé de faire quelque chose que j’aimais. Au début, j’ai dit que j’aimais marcher. Mais je me suis ensuite souvenue que ce que j’adorais, c’était coudre », se rappelle-t-elle.
Avec le peu d’argent qu’elle avait, elle a acheté une machine à coudre.
« J’ai commencé par de petites choses. J’ai fait de petits cadeaux pour des amis. Leur joie m’a donné de l’énergie. Je me suis sentie à nouveau en vie. » Petit à petit, elle a redécouvert sa passion. « Coudre m’a sauvé la vie. Chaque point était comme une reconstitution de mon âme, une réparation des dommages que la vie m’avait causés. »
Ses petites créations se sont rapidement transformées en quelque chose de plus important.
« Une communauté a commencé à se former autour de moi », relate-t-elle. « Des femmes sont venues me voir pour apprendre. J’enseignais la couture, mais en réalité, j’enseignais la survie. Je leur ai dit : vous pouvez faire quelque chose pour vous. Votre destin n’est pas de souffrir. »
Par la suite, elle a commencé à enseigner à Amel et à Migrant Workers Action, deux ONG qui forment les femmes migrantes à la couture.
« Je donne maintenant trois cours de couture par semaine. Certains de mes élèves arrivent 40 minutes en avance, juste pour s’asseoir et attendre, impatients d’apprendre », indique-t-elle. « C’est ce sentiment qui me pousse à continuer. Même pendant les bombardements, je n’ai pas arrêté d’enseigner. Je prenais des appels pour les livraisons de l’aide d’urgence, je sortais pour aller chercher le matériel et je revenais pour continuer le cours. Ce travail, c’est ma raison d’être. »

Viany Nguemakoue Douffa lors d’une manifestation pour les droits des travailleurs migrants. © OIM/Mohamad Cheblak
Lorsque la situation au Liban s’est détériorée avec l’escalade des conflits, Viany Nguemakoue Douffa s’est retrouvée une fois de plus en première ligne d’une crise humanitaire. Quand la guerre a éclaté au Liban en octobre 2023, l’instabilité a poussé de nombreux migrants, qui vivaient déjà dans des conditions précaires, à devenir sans-abri. En l’absence d’un système de soutien officiel, Viany Nguemakoue Douffa a décidé de recenser et d’aider les personnes dans le besoin.
« Même pendant la guerre, ce sont les femmes migrantes, souvent sans papiers et sans ressources, qui distribuaient la nourriture, trouvaient des abris et soutenaient les familles déplacées. Nous n’aidions pas seulement les nôtres. Nous aidions des Syriens, des Libanais, des Palestiniens, tous ceux qui avaient besoin d’aide », affirme-t-elle.
En novembre 2024, elle avait déjà atteint plus de 500 personnes déplacées. « Je n’aurais jamais imaginé être à la tête de ces efforts. Mais quand personne d’autre n’intervient, il faut bien le faire. »
Elle continue de former d’autres femmes migrantes à la couture, leur apportant ainsi les compétences nécessaires pour se forger un avenir au-delà de l’exploitation.
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Les gens me demandent souvent pourquoi je n’abandonne pas. Mais je sais que si j’arrête, je laisse tomber les femmes qui comptent sur moi. Je n’ai pas le luxe d’arrêter.
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Viany Nguemakoue Djouffa
« C’est pour ça que je continue, même sans papiers, même sans stabilité. Car quelqu’un doit le faire », explique-t-elle.
L’histoire de Viany Nguemakoue Djouffa fait écho aux expériences d’innombrables Africains, personnes d’ascendance africaine et travailleurs migrants au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
« Le Bureau régional du HCDH pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord veille à ce que des récits comme le sien ne soient pas ignorés. En surveillant les abus, en plaidant pour une réforme des politiques et en soutenant les institutions nationales, nous nous efforçons de démanteler la discrimination et l’exploitation systémiques auxquelles sont confrontées des personnes comme Viany Nguemakoue Djouffa », a déclaré Mazen Shaqoura, Représentant régional du HCDH pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. « Son parcours, de l’invisibilité à la dignité, reflète le cœur de notre mission : veiller à ce que chaque personne, quelle que soit sa race ou sa situation, soit vue, entendue et protégée. »
Grâce au renforcement des capacités, à des réformes juridiques et des campagnes de sensibilisation, le Bureau aborde des questions telles que la discrimination raciale, la xénophobie, les pratiques d’exploitation au travail et la détention arbitraire. Il relaie également la voix des communautés marginalisées, soutient la mise en œuvre des normes internationales en matière de droits de l’homme et promeut une gouvernance inclusive, conformément à la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies et aux Conventions internationales sur l’égalité raciale et les droits des migrants.
De 2023 à 2025, le Bureau a facilité les dialogues régionaux sur la discrimination raciale, la migration et la justice réparatrice. Il a contribué aux débats sur l’objectif de développement durable no 16 et a soutenu le renforcement des capacités parlementaires en matière de droits des femmes. Il a collaboré étroitement avec le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et a plaidé pour l’accès à la justice, à la santé, à l’éducation et au logement pour tous, indépendamment de leur race ou origine. Un atelier sur l’égalité et l’inclusion est également envisagé en Afrique du Nord en 2025.
« Notre travail reflète directement le changement systémique nécessaire dans des cas comme celui de Viany Nguemakoue Djouffa, où l’intersection de la race, de la migration et du genre l’a exposée au risque d’abus et d’invisibilité. En donnant aux acteurs locaux les moyens de s’exprimer, de signaler les violations et de demander justice, le Bureau contribue à faire en sorte que les expériences de personnes comme Viany Nguemakoue Djouffa soient non seulement entendues, mais aussi prises en compte », a déclaré Mazen Shaqoura.
Nous tenons à exprimer notre gratitude à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour avoir facilité cet entretien et l’avoir rendu possible.