Les droits humains en cinq questions : « on ne choisit pas l’activisme, l’activisme nous tombe dessus »
30 avril 2025

Dzikamai Bere est le directeur national de la Zimbabwe Human Rights Association (ZimRights), le premier et le plus important groupe autochtone de défense des droits humains du pays depuis l’indépendance. Fondé en 1992, ZimRights rassemble plus de 250 000 membres qui défendent leurs libertés d’association et de réunion. Dzikamai Bere a commencé sa carrière dans le système judiciaire, mais s’est très tôt tourné vers l’activisme, convaincu que les changements durables commencent dans les communautés locales. Dans le cadre de notre série limitée « Les droits humains en cinq questions », il nous explique comment devenir un activiste et dans quelle mesure les droits humains aident les communautés.
1. Quel a été le moment ou l’expérience qui vous a incité à faire ce travail ? Qu’est-ce qui vous a fait réaliser que si vous ne faisiez pas quelque chose, personne d’autre ne le ferait ?
C’est un cheminement. Comme je le dis toujours, on ne choisit pas l’activisme, l’activisme nous tombe dessus. Face à l’injustice et lorsqu’il faut réagir, vous devenez un activiste.
Quand je regarde mon parcours, cela remonte à mon enfance. Ma première confrontation avec l’injustice a eu lieu dans l’enseignement secondaire, quand j’ai vu un membre du personnel agresser une collègue. J’ai pris la parole. J’étais très jeune à l’époque, je n’avais pas de tact, je n’étais pas diplomate. Et parce que je me suis exprimé, le système, comme toujours, s’est abattu sur moi. J’ai été sévèrement puni.
Ensuite, à l’université, j’ai été nommé rédacteur en chef des projets spéciaux pour un magazine étudiant intitulé The Varsity Post, où j’ai commencé à militer, en partageant les griefs des étudiants.
Je n’ai jamais dépassé les limites du campus jusqu’en 2008, alors que je travaillais comme magistrat. Les conditions de travail des fonctionnaires de justice s’étaient considérablement détériorées. Les magistrats et les procureurs ont alors décidé de se mettre en grève. J’ai fait partie de ceux qui se sont battus pour leurs droits. Cette campagne m’a permis de me poser des questions : est-ce que je voulais être fonctionnaire de justice ou est-ce que je voulais faire autre chose ?
C’est dans ce contexte qu’en février 2008, j’ai quitté mes fonctions de magistrat pour rejoindre la société civile et lutter pour les droits humains. J’ai ressenti le besoin d’être plus proche du terrain, de l’action, et de m’exprimer ouvertement. J’avais toujours parlé : j’écrivais sous un pseudonyme, j’organisais des événements ici et là, mais quand j’ai démissionné de mon poste de magistrat, j’ai ressenti une nouvelle liberté me permettant de parler ouvertement et d’agir avec sincérité.
2. Avez-vous déjà remis en question votre parcours dans le domaine des droits humains ? Comment avez-vous surmonté ces doutes ?
Au départ, avant de rejoindre ZimRights, je travaillais pour Human Rights NGO Forum et j’ai eu ce moment de réflexion, dû au fait que ZimRights était un mouvement populaire en difficulté.
Nous avons discuté de la possibilité de relancer ZimRights, et ces conversations m’ont fait prendre conscience que la défense des droits humains n’est pas une carrière, mais une vocation. Et cela a un coût très personnel. Même si vous aimez le travail que vous faites en tant que jeune activiste, vous devez également être attentif aux facteurs qui saboteront votre passion pour ce travail, y compris les facteurs économiques. Vous prenez du recul et vous vous demandez si cela peut payer les factures. Souvent, ce n’est pas le cas.
Comment suis-je passé outre ? J’avais une super famille qui m’a soutenu et m’a dit : « tu peux y arriver ». Heureusement, j’avais aussi d’autres sources de revenus, ce qui m’a permis à l’époque de faire ce sacrifice important.
Des pairs et des mentors au sein des communautés ont également apporté leur soutien. La répression devenant de plus en plus complexe, le militantisme doit également évoluer et se perfectionner afin d’affronter les systèmes de pouvoir et de transférer le pouvoir aux citoyens. Vous n’y parviendrez pas sans le mentorat dont vous avez besoin. La pression peut parfois vous décourager.
3. Quel rôle pensez-vous que la communauté internationale, dont des organisations comme l’ONU, devrait jouer pour soutenir les défenseurs des droits humains ?
Il y a deux niveaux dans cette lutte. La vision de ZimRights est celle d’une société dans laquelle les communautés jouent un rôle actif dans la création et le maintien d’une culture des droits humains. L’expression clé de cette vision est le leadership communautaire, c’est-à-dire les personnes qui subissent directement les violations. Mais elles sont incapables de le faire seules, d’où l’importance de la solidarité internationale.
Pour citer un collègue : la solidarité internationale est la monnaie des petits hommes qui ne peuvent maîtriser la puissance des armes ou les finances des grandes entreprises et qui doivent compter sur la solidarité pour affronter des systèmes puissants.
Et nous savons que les responsables politiques, qui sont les principaux responsables des droits, réagissent à cette masse critique. Ils doivent répondre à la communauté internationale.
4. Pouvez-vous nous parler d’un cas ou d’un projet spécifique sur lequel vous travaillez actuellement et de son importance pour la communauté ?
Nous menons actuellement une campagne intitulée « Protection of Vulnerable Communities » (PVC, protection des communautés vulnérables).
L’histoire de cette campagne est très triste. Elle remonte à 2022, quand nous nous sommes rendus dans une communauté dans la région rurale de Kariba. Cette communauté abrite une tribu minoritaire du Zimbabwe, les BaTonga, qui ont été déplacés vers les années 1950 lors de la construction du barrage de Kariba, un énorme projet régional qui fournit de l’hydroélectricité à la région.
Jusqu’en juin 2023, [cette communauté] n’avait jamais vu l’électricité. Incroyable, non ? Il y a une pauvreté énergétique dans cette région, et ces gens sont ceux dont les ancêtres ont payé le prix ultime pour que nous ayons l’électricité.
Cela n’est qu’un exemple parmi d’autres de communautés vulnérables.
Ces réflexions sur de telles questions nous ont permis de lancer la campagne PVC. Durant la phase préliminaire, nous avons demandé au gouvernement de se pencher sur le sort de ces communautés. Certains résultats symboliques ont été obtenus. Par exemple, l’électricité a été raccordée à la clinique de la communauté, ce qui est positif. Mais la plupart des communautés elles-mêmes n’ont toujours pas d’électricité.
Aujourd’hui, nous faisons pression pour abroger les lois qui, selon nous, renforcent la marginalisation des communautés, telles que la loi sur les terres communales et la loi sur le vagabondage. Notre objectif est de voir le Zimbabwe mettre en place ce que nous appelons la loi sur la protection des communautés vulnérables. Cela permettrait tout d’abord de supprimer les lois existantes qui renforcent la culture de marginalisation des communautés vulnérables et, ensuite, de mettre en place un cadre juridique qui nous permette réellement, en tant que communauté, de traiter les causes profondes de la marginalisation au lieu de simplement la condamner.
5. Avez-vous obtenu une victoire apparemment modeste dans le cadre de votre travail sur les droits humains qui a eu un impact beaucoup plus important sur une personne ou une communauté ?
Le 12 avril 2023, nous avons lancé le People’s Human Rights Manifesto dans le cadre de notre stratégie Shifting Power to the People. Ce document est né des conversations que nous avons eues avec nos membres sur la façon dont les élections, qui sont censées avoir un impact sur l’autonomisation des communautés au Zimbabwe, ont en réalité eu l’effet contraire sur les communautés.
Des analyses ont permis d’identifier trois formes de pouvoir à démanteler.
L’une d’elles est la culture de la corruption, où les politiciens pensent qu’ils peuvent simplement venir dans la communauté, faire des cadeaux, obtenir des votes, puis rentrer chez eux et oublier ces communautés.
La seconde est ce que nous appelons le fanatisme, où les élections ressemblent davantage à un concours de beauté. Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on défend, mais qui ont est. Les politiciens s’exhibent, obtiennent des votes et ne se préoccupent jamais des communautés.
La troisième est la violence, où les politiciens font usage de la violence, ils font peur aux communautés, et les communautés se précipitent et votent pour eux.
Pour nous, quand les responsables politiques viennent dans les communautés, il n’est plus question pour eux de penser qu’ils sont les seuls à savoir ce que veut la communauté et [de présenter] des programmes sans aucune bonne volonté.
Les communautés ont dressé une liste de dix priorités, que l’on trouve dans le People’s Human Rights Manifesto. Dès lors, quand les responsables politiques viennent, au lieu de dire aux communautés : « voilà ce que vous voulez, voilà ce que nous allons vous donner », les communautés disent : « venez, asseyez-vous, restez tranquilles et nous vous dirons ce que nous voulons ». Elles ont aussi demandé aux responsables politiques d’adopter ces engagements. Six partis, y compris les partis au pouvoir, ont signé ce document et nous pouvons constater qu’après les élections, les [membres] de ZimRights l’utilisent pour demander des comptes à ces responsables.